Histoire

La situation des jeux et sports traditionnels en Aveyron : les quilles de huit


L’usage quasi exclusif de la langue vernaculaire de l’Aveyron, l’occitan, et la pratique naturelle des jeux traditionnels dans les cours d’école ou sur les places de village se sont maintenus jusqu’à la fin de l’entre deux guerres. La deuxième moitié du XX° siècle va voir insensiblement d’abord, puis inéluctablement et de plus en plus vite, "le progrès" leur substituer l’usage du français et des sports "modernes".

Dans cette débâcle généralisée, quelques points de fixation apparaissent, parmi lesquels les sociétés académiques occitanes pour la langue, et les structures sportives des quilles pour les jeux traditionnels. Dans les deux cas, une réelle altération du contenu originel en est résultée puisque l’occitan académique parait superficiel aux derniers locuteurs, et le sport de quilles normé est désormais assez éloigné du jeu de quilles improvisé des dimanches et fêtes.

Le présent propos ne traitera que des quilles de huit parce que seules les quilles sont aujourd’hui notables, ensuite parce qu’une étude exhaustive des jeux traditionnels de l’Aveyron, pour la plupart disparus ou moribonds, demanderait des recherches plus approfondies. Toutes les communes aveyronnaises (304) ont été contactées dans le cadre de l’inventaire engagé. On notera que le retour des questionnaires a été très limité (19 soit 6,17%) et que toutes ont fait référence aux quilles de huit. L’Aveyron comptait au dernier recensement général (1999) 263 800 habitants, répartis sur 8735 km², soit une densité de 30 habitants au km². Les dernières estimations de l’INSEE font état d’un redémarrage démographique (272 200 habitants en 2004) mais la population est relativement âgée ( 57 % de plus de 40 ans). C’est un département encore très rural, de moyenne montagne (point culminant 1451 m) dont le climat connaît des influences continentales, océaniques et méditerranéennes. Il correspond int égralement à l’aire d’occupation de la tribu gauloise des ruthènes, puis au Rouergue de l’ancien régime, mais son peuplement est bien antérieur aux gaulois puisqu’il est le département de France le plus fourni en dolmens (plus de 1 000). Jusqu’à une époque récente, il a été marqué par une forte endogamie, à l’origine d’un réel enracinement, même pour les couples émigrés.

Comme dans toute la France rurale, la pratique du jeu de quilles en Aveyron trouve ses origines probablement au haut moyen âge. Sa présence est attestée, plus tard, par une ordonnance de police qui à Rodez, en 1609, interdit tous les jeux publics "tant que le divin service se célèbre les églises de la présente ville les jours de dimanche et festes, permettant les autres jours les jeux de quilles et de paume comme licites sans escandales toutefois".

Vers 1900, on joue beaucoup aux quilles dans le moindre village. Le matériel utilisé, les unités de mesure comme les règles d’ailleurs, varient légèrement d’une région à une autre. En Aveyron, comme dans la plupart des départements limitrophes, le jeu à 9 quilles, à même la terre battue, était le plus pratiqué (la région de Villefranche de Rouergue pratiquait surtout le jeu dit de "rampeau" à 6 quilles plantées en triangle, généralement sur une piste en bois).

Les jeux à 9 quilles consistaient à abattre, à l’aide d’une boule, des quilles dressées en carré de 3 rangées de trois. Le jeu "à mettre" était parmi les plus répandus, c'est-à-dire que le meneur de jeu imposait des figures à réaliser, des quilles à abattre, des façons de lancer la boule, des distances de jeu etc.

Dans la région d’Espalion, l’une de ces figures consistait "à prendre quille" en ne laissant que 8 quilles debout et en utilisant la neuvième comme projectile, propulsé par la boule.
 
Les Aveyronnais émigrés à Paris vont jouer un rôle déterminant pour l’unification et la codification des jeux de quilles ; la coexistence de différentes façons de jouer, richesse au plan local, s’avéra un handicap pour la pratique du jeu de quilles dans la capitale, lors des rassemblements annuels organisés par les puissantes amicales regroupant les personnes originaires d’un même village.

En 1911, puis en 1912, leur rassemblement eut lieu à Viroflay, près de Versailles. Les Aveyronnais réunis au sein d la "Solidarité Aveyronnaise", se résolurent à codifier le jeu pour permettre des rencontres entre originaires de villages différents ; la plupart d’entre eux étant originaires du Nord Aveyron, il est compréhensible que ce soit la "mode espalionnaise" qui ait prévalu sur toutes les autres. Au pays, on appellera ce jeu "à la parisienne" ou encore "le concours", par opposition aux autres façons de jouer qui se maintiendront jusqu’au milieu des années 50. Les quilles de huit étaient nées, bien que l’usage exclusif du terme de "quilles de 9 aveyronnaises" se soit maintenu jusqu’à la création de la Fédération française des sports de quilles en janvier 1957.

La pratique ludique reste dominante et prévaut largement sur le "sport", qui s’exprime dans le cadre d’un championnat de l’Aveyron appelé "fanion", qui réunit les plus acharnés des pratiquants sur 3 journées seulement. Il n’en demeure pas moins que l’on ne donne pas cher de l’avenir des quilles à la fin des années 50. C’est ainsi que Jacques Bousquet, directeur des archives départementales, écrit, dans la revue du Rouergue en 1957 : "il faudrait se hâter d’en noter les règles…pour satisfaire la curiosité des historiens à venir".

Contrairement à toute attente, la "sportivisation" d’une part, le retour des quilles dans les écoles d’autre part, à partir de 1972, la féminisation enfin à partir de 1980 vont inverser le processus à tel point qu’aujourd’hui le sport de quilles de huit occupe la 3° place des disciplines sportives pratiquées dans le département, après le football et la pétanque. Aujourd’hui elles comptent plus de 4 000 licenciés (et guère plus de pratiquants) situés à 95 % en Aveyron. Cette année, en 2006, un nouveau record vient d’être battu puisque 457 quadrettes seniors et 270 doublettes de jeunes ou de féminines se sont engagées en championnat de l’Aveyron, sans compter les 400 enfants de mois de 12 ans engagés dans les écoles de quilles.

L’âge moyen de l’ensemble des licenciés (plus de 4000 en 2005 dont plus de 500 féminines) ressort à 34 ans, celui des féminines étant encore beaucoup plus jeune.